Pierre Berville « J’enlève le haut ». Un auteur qui tient ses promesses
Pierre Berville « J’enlève le haut ». Les dessous de la Pub à l’âge d’or
Pierre Berville est un homme d’idées. De bonnes idées. Sa dernière bonne idée : écrire son autobiographie de publicitaire à ses débuts dans les riches années 70 et 80, le consacre auteur à part entière.
Concepteur-rédacteur, directeur de création, fondateur de l’agence Callegari Berville, enfin auteur de « J’enlève le haut » publié ce 20 novembre, Pierre Berville, l’homme au Gold Pencil, raconte les souvenirs de sa vie publicitaire et personnelle avec style, esprit et intelligence dans 424 pages où il croque avec gourmandise une galerie de portraits de gens connus, ou qui le deviendront, Marcel Bleustein-Blanchet, Philippe Michel, Jean Paul Goude, Etienne Chatiliez, Thierry Ardisson ou plus obscurs, au fil de ses rencontres et de son parcours dans le microcosme publicitaire.
De formation littéraire et sans être un enfant du sérail, l’un des créatifs le plus doué de sa génération a marqué l’histoire de la publicité en touchant le grand public et les médias avec la campagne « Myriam » en 1981 pour « Avenir, l’afficheur qui tient ses promesses » et a accumulé des campagnes mémorables, Vittel, Eram, Cinzano, Solex… Il nous fait revivre sans langue de bois cette foisonnante époque de liberté sociétale et publicitaire, à la fois (grand) acteur et témoin privilégié de cet âge d’or avant que règne le « politiquement correct », éteignoir de toute créativité. Pierre Berville ne cache rien et assume tout, même le plus sulfureux.
Précurseur des créatifs-fondateurs d’agences indépendantes qui émergent aujourd’hui où domine l’ambition de la bonne création, Pierre Berville à travers ce parcours inspirant livre les clés pour comprendre comment la publicité a évolué et nous pousse à nous interroger si la pub « c’était mieux avant ? ». À chacun de se faire une opinion. Un livre riche d’enseignements pour les jeunes générations de publicitaires qui permet de découvrir l’univers de la création publicitaire, avant l’arrivée d’internet. Et pour les moins jeunes, un retour jubilatoire dans l’énergie de cette période dorée.
Quelques extraits:
Prologue
Comment aurais-je pu m’attendre à cela ? Qu’une blague de déjeuner mette la France en émoi, mobilise la presse, soulève des maires, déplace des ministres et illumine durablement ma vie de créatif publicitaire ?
Pour l’afficheur Avenir, j’ai déshabillé la belle Myriam pendant une petite semaine, dans une poignée de villes françaises, il y a quelques décennies. On dit que la pub n’a pas de mémoire, pourtant tout le monde s’en souvient. Cette campagne reste une sorte de miracle. Un cas d’école. Un mythe.
Vous détestez la publicité ? Moi aussi parfois. Mais je l’ai pratiquée quand tout le monde l’adorait. C’était drôle et coloré, artisanal et impertinent ; humain. Un monde qui se prenait rarement au sérieux. C’était l’âge d’or. C’était la pub dans les années 70 et 80.
J’ai vécu cette époque joyeuse presque en dilettante, même si mes petites dispositions y furent vite considérées et récompensées. Ce fut un moment extraordinaire dont je n’eus pas conscience sur le coup, trop occupé à le vivre. J’étais un privilégié libre de ses horaires car on ne pointait pas.
Mes patrons me demandaient d’inventer et de réaliser, ou de faire réaliser, des choses variées, instructives et amusantes, bref d’avoir des idées. Sans forcer, sans trop me fatiguer ; seulement en observant, en rigolant et en essayant de partager les fantaisies qui me passaient par la tête.
Mon opus publicitaire n’a pas été seulement constitué de chefs-d’œuvre. J’ai produit au moins autant de bouses que de diamants. Mais la publicité est bonne fille. Elle ne retient que les réussites et oublie très vite les échecs. J’ai réussi à sauvegarder une réputation flatteuse, pas toujours imméritée, mais qui bénéficia de cette forme d’amnésie bienveillante.
Tournage Eram avec Georges Lautner:
[Le producteur de Telema Charles Gassot] …Gassot est en contact avec beaucoup de talents du cinéma. Pour réaliser nos nouveaux films Eram, il nous propose de faire appel à Georges Lautner, oui celui des Barbouzes et des Tontons Flingueurs, un culte du cinéma français. Les spots ne seront pourtant pas aussi réussis que les précédents. Je sens que Georges Lautner est moins accoutumé aux contraintes de format et de narration
des films publicitaires. Ce n’est pas lui faire injure. Les plus talentueux réalisateurs du grand écran, même les plus fins techniciens, ne font pas toujours les meilleurs réalisateurs de films publicitaires. Je me souviens même d’une pub pour Campari, réalisée par le gigantissime Federico Fellini en personne, qui était catastrophique. Il en va de même pour les écrivains ; leur passage à la pub se déroule plus ou moins bien. Un grand romancier ne fera pas toujours un bon publicitaire même si quelques publicitaires ont pu faire d’excellents romanciers.
Le tournage dure quelques jours, dans les environs de Paris. Josiane Balasko et Marie-Anne Chazel font partie de la distribution. Le Café de la Gare, puis la troupe du Splendid sont des viviers bien remplis pour tous les directeurs de casting de Paris. « Les Bronzés » puis « Le père Noël est une ordure » n’ont pas encore propulsé ces acteurs en haut du box-office mais il est difficile de passer à côté de leur talent. Clavier, Lhermitte, Lamotte, Guybet, Lavanant et tous les autres ne répugnent pas à tourner pour la pub ni à lui prêter leur voix pour les bandes son. Coluche lui-même, qui n’hésitera pas plus tard à cracher dans la lessive, a donné la réplique à Henri Guybet pour un spot Mobil Oil, très drôle il est vrai. J’aurai par la suite le plaisir de faire travailler Michel Blanc comme réalisateur et d’avancer plusieurs projets avec Gérard Jugnot au même poste. Bref, les frontières sont loin d’être étanches entre l’univers incroyablement prometteur du Café-Théâtre de l’époque et celui de la pub. Un grand moment. Quelle marrade ! Lautner est…