Rare dans les médias, Florence Jacob présidente du collège des producteurs de films publicitaires de l’UPC sort de son silence pour répondre enfin aux questions de Packshotmag. Elle détaille pour nous son bilan à l’UPC et nous expose sa feuille de route pour les prochains mois, avec en ligne de mire, la menace de la dérégulation du secteur sur les producteurs indépendants.
Une prise de parole forte et assumée, à la hauteur de son engagement depuis près de quatre ans.
- Trois ans après la crise sanitaire, quelle est la situation des producteurs de films publicitaires ?
Le marché est compliqué pour le secteur entier après le rattrapage de 2022. Les répercussions de la pandémie et des dérégulations mondiales frappent fort sur l’économie ainsi que sur notre secteur. Les annonceurs investissent de moins en moins dans les films publicitaires alors qu’ils dépensent plus sur d’autres segments. Ils sont plus frileux lors du lancement de leurs campagnes. Tout ça se fait ressentir sur le “daily business” des producteurs, qui opèrent avec des marges de plus en plus faibles et une inflation galopante suivie par des taux d’intérêt records.
C’est compliqué, mais les producteurs indépendants sont des gens extrêmement résilients, donc ils avancent, ajustent leur business model et nous sommes là pour les défendre.
De nombreuses agences ont désormais leurs propres productions intégrées. Certains d’entre nous ont donc également revu leur positionnement en créant des nouvelles opportunités en business plus directes avec les annonceurs.
- Quel est le rôle de l’UPC dans ce contexte ?
J’ai précisément accepté cet interview pour répondre à cette question qui nous est souvent posée.
Pour ma part, au regard de mon rôle de présidente, je crois beaucoup au “less is more”, moins de communication et plus d’actions. Mais après trois ans en poste, je pense qu’il est utile de faire un gros bilan et d’exposer notre feuille de route pour les prochains mois.
Notre rôle est de défendre les productrices et les producteurs indépendants de films publicitaires français sur le territoire français et à l’étranger afin que toutes et tous puissent continuer à produire dans des conditions décentes, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Nous sommes des petites ou des moyennes structures à taille humaine face à des multinationales ! Nous avons parfois des rapports assez musclés avec nos interlocuteurs. Ce sont des négociations constantes et qui permettent d’endiguer une dérégulation totale du marché. L’UPC mène ces négociations pour éviter que les relations intra-secteur deviennent trop toxiques. Ceci demande beaucoup de notre temps au service du collectif.
Notre vigilance concerne aussi l’échelon international et européen. Nous avons d’ailleurs intégré, avec James Hagger, le bureau du CFP-e (notre fédération européenne) l’année dernière. Cette position nous permet d’accéder aux négociations contractuelles et à la régulation du marché au niveau européen. Elle nous permet également d’identifier les dispositions dangereuses dans des textes ou des contrats internationaux. Nous avons également des réunions mensuelles concernant la mise en place de mesures RSE plus efficaces au niveau européen.
Nous aidons bien sûr également nos adhérents d’un point de vue individuel. Xavier Prieur leur fournit une aide juridique et des conseils stratégiques précieux. Certains contrats extrêmement discutables sont en circulation actuellement. Ces contrats sont parfois très dangereux pour notre profession à moyen et long terme. Nous aidons nos adhérents à comprendre ces enjeux. Les futurs / probables dommages collatéraux sur la profession et les conditions de production sont immenses. Il est nécessaire de réfléchir ensemble sur l’évolution du marché et jusqu’où notre profession peut suivre ces changements sans compromettre la qualité de nos prestations et la sécurité de nos équipes dont nous sommes responsables.
Dans le climat actuel il faut penser collectif avant de penser perso, ce n’est pas toujours inné. Nous sommes concurrents avant tout.
- Comment êtes-vous organisés au sein de l’UPC ?
Nous nous sommes bien répartis les rôles. Xavier Prieur s’occupe des négociations juridiques. Ses connexions avec le gouvernement et tous les corps intermédiaires de notre secteur nous permettent d’être dans le feu de l’action immédiatement. François Brun, vice-président, et moi-même menons les négociations au front avec les agences et les annonceurs. James Hagger m’épaule au niveau international et notamment pour le CFP-e.
Nous nous appuyons sur les membres de notre conseil de direction pour les décisions politiques. Ça fonctionne bien !
Il faut savoir que les producteurs de publicité indépendants et leurs équipes étaient les premiers de retour sur le terrain après la pandémie. Nous et nos équipes sommes des spécialistes de la logistique. On sait rendre les choses possibles, même dans des contextes compliqués. De toute manière nous n’avons pas d’autre choix que d’y aller, la survie de nos sociétés dépend de chaque publicité, clip, long-métrage qu’on sort par mois, donc il vaut mieux être passionnés et résilients ! C’est cette passion qui a permis aux producteurs indépendants de se relever aussi vite et de toujours avancer.
C’est cette énergie, même cette synergie, des adhérents qui nous porte à l’UPC pour défendre les intérêts de notre profession.
- Quelles sont les avancées à votre actif les plus concrètes depuis ces trois années ?
Pour l’instant, nos victoires les plus notables sont :
– la mise en place d’un protocole juridique en cas de pandémie dont les clauses sont incluses à nos contrats (qui ont pu être modernisés),
– la diminution effective du nombre des compétitions mixtes (avec des productions intégrées) non transparentes initiée par Julien Pasquier en 2017 et continuée par l’UPC,
– la rédaction d’une lettre de brief française signée avec l’AACC et l’UDM,
– la mise en place de groupes de travail avec les conseils en production (anciennement appelés “cost control”) pour mieux comprendre leur ligne stratégique commune dans le développement de cette profession récente,
– le développement d’outils pour améliorer les critères RSE :
Au niveau écologique : mise en place de chartes de production afin de pousser pour du recyclage et moins de gaspillage carbone sur les tournages (par exemple : minimiser le nombre de personnes présente sur les plateaux côté agence / annonceur),
Au niveau humain : charte de bonne conduite pour plus de respect entre les différents protagonistes, intégration de plus de femmes et de minorité dans les équipes, lutte contre le racisme et la discrimination des genres en collaboration avec le secteur cinématographique (par exemple : formation contre les VHSS (violences et harcèlements sexuels et sexistes) au CNC.
- Comment est structuré le marché actuellement ?
Il y a clairement une hémorragie financière. Les annonceurs dépensent moins alors que les demandes depuis l’arrivée du numérique sont de plus en plus complexes. Et les prix augmentent.
Pour beaucoup de marques françaises de renom, les achats ont pris le pouvoir de décision, ce qui nous force à analyser les appels d’offres purement par le prisme financier, quitte à ne plus être en phase avec les ambitions du film. Mais les achats ne se soucient pas toujours de la qualité d’un film, ce n’est pas leur job. Ce qui les intéresse, et ce pour quoi ils sont payés, ce sont uniquement les économies possibles… Donc cela se voit parfois à l’image. C’est une vraie souffrance pour les réalisateurs et les créatifs d’agence française car la qualité des campagnes s’en ressent. L’excellence visuelle semble avoir laissé place à l’optimisation des coûts. Malgré tout, l’exigence des créatifs en agence n’a pas changé envers nous. Malheureusement les budgets ne sont plus en adéquation avec les désirs artistiques des créatifs. C’est pour cela qu’on est de plus en plus obligé de raboter nos propres marges pour optimiser nos budgets et sortir de bons films car les budgets par campagne ne couvrent plus la réalité des dépenses. On devient donc investisseurs en quelque sorte pour maintenir le niveau. Le problème est que nous courons de gros risques financiers.
Pourtant, c’est l’excellence française qui fait notre réputation dans le monde. C’est cette exigence que les producteurs indépendants français essayent de maintenir avec certains créatifs puissants en tête d’agence. À cause de ces budgets revus à la baisse, la France peine à exister dans les compétitions internationales alors que dans d’autres domaines créatifs, le clip, les films mode et la fiction, on excelle.
Ce sont les producteurs indépendants qui fabriquent tous les talents émergents, qui les portent jusqu’à l’international. Il est temps de reconnaître cette force de frappe des producteurs et de la protéger !
Nous assistons à une transformation du marché et de ses producteurs.
La plupart d’entre nous ne se contente plus uniquement de produire de la publicité. Beaucoup de producteurs indépendants ont également mis un pied dans le long métrage, les séries, ou les documentaires, souvent avec les mêmes talents. Ce qui démontre également l’importance de nos producteurs indépendants, nos talents dans le cinéma français et dans l’ensemble de la culture ! Nous sommes un vivier, reconnu et indispensable à l’expression des nouvelles tendances.
Les producteurs de films publicitaires indépendants savent résoudre des adéquations à 360 degrés. C’est donc naturellement que les annonceurs viennent parfois travailler directement avec nous, de la même manière que les agences ont intégré une partie très importante (environ 30 %) des productions dans leurs structures intégrées.
- Vous avez évoqué plusieurs fois vos batailles. Quelles sont celles qui dictent aujourd’hui votre feuille de route ?
Je parlais tout à l’heure du courage, de la créativité, de la prise de risque, des investissements, du développement de talents des producteurs indépendants de films publicitaires. Cet écosystème qui profite à tout le secteur et notamment aux annonceurs est menacé !
Tout d’abord, les compétitions ne sont pas assez transparentes et encadrées. Il faut mettre un terme aux compétitions qui n’aboutissent pas ou mettent en compétition trop de sociétés. Ces compétitions, aussi poussées, nécessitent un investissement humain très important et donc un coût souvent conséquent pour les producteurs et les réalisateurs. Nous souhaitons, comme nous l’avons signifié aux annonceurs en juin dernier, un juste dédommagement. Ce dédommagement permettra de mieux réguler les compétitions car cela permet une prise de conscience du travail fait. Quand tout est gratuit, l’abus se met en place, le day to day nous l’a montré.
Nous avons rédigé avec les producteurs européens réunis au sein de notre fédération CFP-e des principes qui permettent le respect de la façon de travailler des producteurs de films publicitaires (3 sociétés en compétition maximum, des consignes claires et équivalentes pour chacun des compétiteurs…) ainsi que l’obligation d’une lettre de brief à disposition de toutes les sociétés en compétition.
Nous avons également constaté un allongement très important des délais de paiement. Nous ne pouvons pas jouer le rôle de banque des annonceurs ou des agences. Nous ne sommes pas structurés pour cela. Ce n’est pas notre rôle. Ce principe de financement des productions en amont via les producteurs indépendants, évincerait tout un pan des productions plus petites, qui n’obtiendraient pas les faveurs des banques. Il ne resterait que les plus gros, ce qui serait vraiment scandaleux et problématique pour l’avenir de notre profession. Chaque acteur a son importance dans cet écosystème, le petit comme le plus grand.
Certains grands groupes veulent imposer des clauses mettant en péril les sociétés qui les acceptent. Ces conditions contractuelles dangereuses concernent le possible refus d’un film, des obligations intenables, des ristournes obligatoires qui sont inacceptables.
L’UPC est extrêmement vigilante face à ces menaces. Nous luttons contre ces dérégulations qui mettent en péril les producteurs mais aussi le secteur en entier.
- Enfin une dernière question : que vous inspire la récente élection de Christopher Thiery à la tête de la délégation production de l’AACC ?
Je pense que l’arrivée de Christopher à la tête du pôle production de l’AACC est une très bonne chose. Nous sommes de la même génération, nos carrières ont donc décollé en même temps et nous nous côtoyons depuis longtemps. Il a le bon mindset pour accompagner la transformation du secteur qui s’opère. Il y a tant à faire.
Christopher est apprécié par de nombreux producteurs indépendants. Nous avons déjà échangé de nombreuses fois sur les problématiques du marché et les problématiques auxquelles nous, producteurs indépendants, faisons face, notamment avec les productions intégrées. Nous sommes transparents sur nos enjeux respectifs. Sans producteurs indépendants, le développement de nouveaux talents pour la publicité et le cinéma est compromis, voire impossible. Nous sommes les seuls à investir dans nos talents !
Bien sûr les combats ne sont pas toujours les mêmes pour l’AACC et l’UPC, mais je pense que Christopher est quelqu’un avec qui il est intéressant d’échanger. Si on veut que notre secteur et notamment l’interaction entre les agences et les productions indépendantes s’assainisse, il va falloir travailler ensemble afin que le RSE ne reste pas juste un joli mot dans les articles de presse.
Il est crucial d’être plus écologiquement responsable. Mais surtout, l’enjeu de notre collaboration je pense, va être de remettre des règles claires pour plus de respect des équipes et des fournisseurs qui livrent les films.
Nous allons aussi avoir besoin des agences pour que notre secteur soit plus inclusif sur les questions de diversité et de genres. Je souhaite avant tout que ma présidence incarne une approche intersectionnelle dans la lutte contre toutes formes de domination et d’oppression dans nos métiers. Aussi bien du côté de nos collaborateurs, que dans les équipes artistiques, nous devons être plus représentatif de la pluralité de la société et des diverses formes de talents. Pour les productrices et les producteurs de demain, nous devons, plus qu’ailleurs, nous adapter à l’évolution du monde.